A la suite de l’article sur le concept de la soumission librement consentie, nous poursuivons ici notre analyse en s’intéressant plus particulièrement à la question du consentement au travail.
En plaçant en effet notre réflexion dans le cadre du travail, nous pouvons dire que la soumission librement consentie au travail relève de toute évidence d’une dynamique complexe, reflétant les interactions entre les employés, leurs collègues, et leurs supérieurs.
Cette dynamique se manifeste lorsque les individus acceptent les directives, les tâches, ou les normes de l’organisation non pas par contrainte, mais parce qu’ils y voient un sens, une valeur, ou parce qu’ils adhèrent volontairement aux objectifs et à la culture de l’entreprise.
Dès lors cette forme de soumission soulève plusieurs enjeux importants pour les individus au travail, touchant à l’autonomie, à l’identité professionnelle, et à la satisfaction au travail.
Un des enjeux m’apparaissant important de la soumission librement consentie au travail est la question de l’autonomie. Les employés cherchent souvent à maintenir un certain degré de contrôle sur leur travail, désirant que leurs tâches et responsabilités reflètent leurs compétences et leurs intérêts. La soumission librement consentie, dans ce contexte, peut être perçue comme une manière de préserver l’autonomie, dans la mesure où les choix et les engagements pris sont alignés avec les valeurs personnelles et professionnelles de l’individu.
Cependant, cette dynamique peut devenir problématique si l’employé se sent poussé à consentir à des demandes qui vont à l’encontre de ses propres intérêts ou convictions, menaçant son sentiment d’autonomie et de contrôle.
Dans une agence de design, les managers ont pour pratique de répartir les projets parmi les employés non seulement en fonction des besoins de l’entreprise, mais aussi en prenant en compte les compétences, les intérêts, et les aspirations de développement professionnel de chaque employé.
Cette approche permet aux designers de travailler sur des projets qui les passionnent et où ils peuvent exceller, favorisant ainsi leur engagement et leur satisfaction au travail. Cependant, lorsqu’un nouveau client d’envergure arrive avec un projet qui ne correspond pas aux intérêts ou aux compétences de certains employés, le manager les incite fortement à prendre part au projet, arguant de l’importance du client pour l’agence.
Les employés peuvent se sentir obligés d’accepter pour ne pas décevoir leur manager ou risquer de perdre des opportunités futures, même si cela va à l’encontre de leurs préférences personnelles, érodant ainsi leur sentiment d’autonomie et de contrôle sur leur travail.
La manière dont un individu se soumet volontairement à certaines normes et pratiques au travail peut également influencer son identité professionnelle. Adopter et s’engager dans les valeurs et les objectifs de l’organisation peut renforcer le sentiment d’appartenance et la satisfaction au travail.
Cela peut favoriser une identification plus forte à l’entreprise, ce qui est bénéfique pour la motivation et l’engagement. Toutefois, si la soumission à ces normes est en conflit avec les valeurs personnelles de l’individu, il n’y a plus soumission librement consentie et cela peut entraîner une dissonance cognitive et affecter négativement son bien-être et son identité professionnelle. (Vous trouverez ici ma vidéo dédiée à la dissonance cognitive)
Dans une entreprise spécialisée dans les technologies vertes, la culture organisationnelle met fortement l’accent sur le développement durable, l’innovation écologique, et la responsabilité sociale. Un nouvel employé, attiré par ces valeurs qui reflètent ses convictions personnelles, s’engage pleinement dans les initiatives de l’entreprise liées à l’écologie et participe activement aux projets visant à réduire l’empreinte carbone de l’entreprise.
Cette adhésion volontaire aux normes et pratiques de l’entreprise renforce son sentiment d’appartenance et sa satisfaction au travail, contribuant à une identification forte avec l’entreprise.
Son engagement dans des valeurs partagées enrichit son identité professionnelle, le positionnant comme un défenseur du développement durable au sein et en dehors de l’organisation.
Un designer commence à travailler pour une grande marque de fast fashion, attiré par la promesse de liberté créative et l’opportunité de travailler dans l’industrie de la mode.
Cependant, il prend rapidement conscience de la discordance entre ses valeurs personnelles concernant la durabilité et les pratiques de l’entreprise qui favorisent la production de masse et la consommation rapide. Malgré une tentative initiale de se conformer aux attentes de l’entreprise pour maintenir sa position et sa sécurité d’emploi, il ressent une dissonance cognitive croissante.
Cette soumission aux normes de l’entreprise, en conflit avec ses valeurs personnelles, commence à affecter négativement son bien-être et son identité professionnelle, le menant à questionner sa place dans l’industrie et à envisager une carrière dans des secteurs plus alignés sur ses convictions en matière de durabilité.
La soumission librement consentie a également un impact direct sur la satisfaction et le bien-être au travail.
Lorsque les employés se sentent en accord avec les tâches qu’ils accomplissent et les directives qu’ils suivent, cela peut accroître leur satisfaction professionnelle, leur motivation, et leur productivité.
En revanche, consentir à des pratiques ou à des objectifs avec lesquels ils ne sont pas en accord peut conduire à un sentiment de frustration, à une baisse de la motivation, et à un épuisement professionnel. Ainsi, la capacité à consentir librement et en toute connaissance de cause aux exigences du travail est essentielle pour le bien-être des employés.
Dans une entreprise de vente au détail, la direction fixe des objectifs de vente trimestriels très élevés, sans tenir compte des conditions du marché ou des retours des employés. Les vendeurs sont encouragés, voire poussés, à atteindre ces objectifs par tous les moyens nécessaires, incluant la pratique de techniques de vente agressives. Bien que certains employés puissent se soumettre à ces directives dans l’espoir d’obtenir des bonus ou des promotions, ils le font souvent à contrecœur, car ces pratiques ne correspondent pas à leurs valeurs personnelles de service client honnête et respectueux.
Cette dissonance entre les exigences du travail et les convictions personnelles des employés conduit à une frustration croissante, à une diminution de la satisfaction au travail, et, dans certains cas, à un épuisement professionnel.
Les employés se sentent piégés dans un cycle de travail insatisfaisant, où le consentement aux objectifs de l’entreprise est donné sous la pression plutôt que par un accord véritable avec ses buts.
La soumission librement consentie au travail soulève enfin des enjeux éthiques et de gestion. D’une part, les managers doivent veiller à ce que la pression exercée sur les employés pour qu’ils adhèrent aux normes et objectifs de l’organisation ne franchisse pas la ligne entre encouragement et coercition. D’autre part, il est important de créer un environnement de travail où le consentement libre et éclairé est possible, ce qui implique de promouvoir une culture d’ouverture, de transparence, et de respect mutuel.
Dans une entreprise de développement logiciel, les délais de livraison des projets sont souvent serrés.
Le manager, souhaitant respecter ces délais, encourage fortement ses employés à travailler des heures supplémentaires sans compensation financière, présentant cela comme une « opportunité » pour l’équipe de démontrer son engagement et sa détermination.
Bien que techniquement les employés aient le choix, le contexte crée une pression implicite : ne pas s’engager dans ces heures supplémentaires pourrait être interprété comme un manque de dévouement, avec des implications potentielles pour l’évaluation des performances et les opportunités de carrière.
Ici, la ligne entre encouragement et coercition est floue, car le consentement à travailler plus n’est pas pleinement libre ni éclairé, mais influencé par la crainte de conséquences négatives.
Pour conclure cet article je rappelle à nouveau que la soumission librement consentie, tout en étant un concept fondamental en psychologie sociale, soulève des questions éthiques cruciales dans le monde moderne et notamment dans la sphère du travail comme exprimé dans cet article.
Nous l’avons vu, la distinction entre persuasion et manipulation, la protection de la liberté de choix, et la capacité de faire des choix éclairés sont au cœur des enjeux actuels relatifs au respect de la personne.
A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:
Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion
Partie 2 – Techniques de manipulation psychosociale
Partie 3 – Couple : La question de la soumission librement consentie
Partie 4 – La manipulation dans la sexualité et le consentement éclairé
Partie 5 – L’individu au travail & la soumission librement consentie
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Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses Universitaires de Grenoble.
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