ESPRIT PSY

L’individu au travail & la soumission librement consentie

A la suite de l’article sur le concept de la soumission librement consentie, nous poursuivons ici notre analyse en s’intéressant plus particulièrement à la question du consentement au travail.

En plaçant en effet notre réflexion dans le cadre du travail, nous pouvons dire que la soumission librement consentie au travail relève de toute évidence d’une dynamique complexe, reflétant les interactions entre les employés, leurs collègues, et leurs supérieurs.

Cette dynamique se manifeste lorsque les individus acceptent les directives, les tâches, ou les normes de l’organisation non pas par contrainte, mais parce qu’ils y voient un sens, une valeur, ou parce qu’ils adhèrent volontairement aux objectifs et à la culture de l’entreprise.

Dès lors cette forme de soumission soulève plusieurs enjeux importants pour les individus au travail, touchant à l’autonomie, à l’identité professionnelle, et à la satisfaction au travail.

 

1 – L’autonomie

Un des enjeux m’apparaissant important de la soumission librement consentie au travail est la question de l’autonomie. Les employés cherchent souvent à maintenir un certain degré de contrôle sur leur travail, désirant que leurs tâches et responsabilités reflètent leurs compétences et leurs intérêts. La soumission librement consentie, dans ce contexte, peut être perçue comme une manière de préserver l’autonomie, dans la mesure où les choix et les engagements pris sont alignés avec les valeurs personnelles et professionnelles de l’individu.

Cependant, cette dynamique peut devenir problématique si l’employé se sent poussé à consentir à des demandes qui vont à l’encontre de ses propres intérêts ou convictions, menaçant son sentiment d’autonomie et de contrôle.


Exemple: Le choix de projets en fonction des compétences et intérêts

Dans une agence de design, les managers ont pour pratique de répartir les projets parmi les employés non seulement en fonction des besoins de l’entreprise, mais aussi en prenant en compte les compétences, les intérêts, et les aspirations de développement professionnel de chaque employé.

Cette approche permet aux designers de travailler sur des projets qui les passionnent et où ils peuvent exceller, favorisant ainsi leur engagement et leur satisfaction au travail. Cependant, lorsqu’un nouveau client d’envergure arrive avec un projet qui ne correspond pas aux intérêts ou aux compétences de certains employés, le manager les incite fortement à prendre part au projet, arguant de l’importance du client pour l’agence.

Les employés peuvent se sentir obligés d’accepter pour ne pas décevoir leur manager ou risquer de perdre des opportunités futures, même si cela va à l’encontre de leurs préférences personnelles, érodant ainsi leur sentiment d’autonomie et de contrôle sur leur travail.

2 – L’identité professionnelle

La manière dont un individu se soumet volontairement à certaines normes et pratiques au travail peut également influencer son identité professionnelle. Adopter et s’engager dans les valeurs et les objectifs de l’organisation peut renforcer le sentiment d’appartenance et la satisfaction au travail.

Cela peut favoriser une identification plus forte à l’entreprise, ce qui est bénéfique pour la motivation et l’engagement. Toutefois, si la soumission à ces normes est en conflit avec les valeurs personnelles de l’individu, il n’y a plus soumission librement consentie et cela peut entraîner une dissonance cognitive et affecter négativement son bien-être et son identité professionnelle. (Vous trouverez ici ma vidéo dédiée à la dissonance cognitive)

 
Exemple: L’engagement dans une culture d’entreprise axée sur le développement durable

Dans une entreprise spécialisée dans les technologies vertes, la culture organisationnelle met fortement l’accent sur le développement durable, l’innovation écologique, et la responsabilité sociale. Un nouvel employé, attiré par ces valeurs qui reflètent ses convictions personnelles, s’engage pleinement dans les initiatives de l’entreprise liées à l’écologie et participe activement aux projets visant à réduire l’empreinte carbone de l’entreprise.

Cette adhésion volontaire aux normes et pratiques de l’entreprise renforce son sentiment d’appartenance et sa satisfaction au travail, contribuant à une identification forte avec l’entreprise.

Son engagement dans des valeurs partagées enrichit son identité professionnelle, le positionnant comme un défenseur du développement durable au sein et en dehors de l’organisation.

 
Autre exemple: Un conflit de valeurs dans une entreprise de Fast Fashion

Un designer commence à travailler pour une grande marque de fast fashion, attiré par la promesse de liberté créative et l’opportunité de travailler dans l’industrie de la mode.

Cependant, il prend rapidement conscience de la discordance entre ses valeurs personnelles concernant la durabilité et les pratiques de l’entreprise qui favorisent la production de masse et la consommation rapide. Malgré une tentative initiale de se conformer aux attentes de l’entreprise pour maintenir sa position et sa sécurité d’emploi, il ressent une dissonance cognitive croissante.

Cette soumission aux normes de l’entreprise, en conflit avec ses valeurs personnelles, commence à affecter négativement son bien-être et son identité professionnelle, le menant à questionner sa place dans l’industrie et à envisager une carrière dans des secteurs plus alignés sur ses convictions en matière de durabilité.

 

3 – La satisfaction et le bien-être au travail

La soumission librement consentie a également un impact direct sur la satisfaction et le bien-être au travail.

Lorsque les employés se sentent en accord avec les tâches qu’ils accomplissent et les directives qu’ils suivent, cela peut accroître leur satisfaction professionnelle, leur motivation, et leur productivité.

En revanche, consentir à des pratiques ou à des objectifs avec lesquels ils ne sont pas en accord peut conduire à un sentiment de frustration, à une baisse de la motivation, et à un épuisement professionnel. Ainsi, la capacité à consentir librement et en toute connaissance de cause aux exigences du travail est essentielle pour le bien-être des employés.

Exemple : La pression pour atteindre des objectifs de vente irréalistes

Dans une entreprise de vente au détail, la direction fixe des objectifs de vente trimestriels très élevés, sans tenir compte des conditions du marché ou des retours des employés. Les vendeurs sont encouragés, voire poussés, à atteindre ces objectifs par tous les moyens nécessaires, incluant la pratique de techniques de vente agressives. Bien que certains employés puissent se soumettre à ces directives dans l’espoir d’obtenir des bonus ou des promotions, ils le font souvent à contrecœur, car ces pratiques ne correspondent pas à leurs valeurs personnelles de service client honnête et respectueux.

Cette dissonance entre les exigences du travail et les convictions personnelles des employés conduit à une frustration croissante, à une diminution de la satisfaction au travail, et, dans certains cas, à un épuisement professionnel.

Les employés se sentent piégés dans un cycle de travail insatisfaisant, où le consentement aux objectifs de l’entreprise est donné sous la pression plutôt que par un accord véritable avec ses buts.

 

4- Les enjeux éthiques et de gestion

La soumission librement consentie au travail soulève enfin des enjeux éthiques et de gestion. D’une part, les managers doivent veiller à ce que la pression exercée sur les employés pour qu’ils adhèrent aux normes et objectifs de l’organisation ne franchisse pas la ligne entre encouragement et coercition. D’autre part, il est important de créer un environnement de travail où le consentement libre et éclairé est possible, ce qui implique de promouvoir une culture d’ouverture, de transparence, et de respect mutuel.

Exemple: heures supplémentaires non rémunérées

Dans une entreprise de développement logiciel, les délais de livraison des projets sont souvent serrés.

Le manager, souhaitant respecter ces délais, encourage fortement ses employés à travailler des heures supplémentaires sans compensation financière, présentant cela comme une « opportunité » pour l’équipe de démontrer son engagement et sa détermination.

Bien que techniquement les employés aient le choix, le contexte crée une pression implicite : ne pas s’engager dans ces heures supplémentaires pourrait être interprété comme un manque de dévouement, avec des implications potentielles pour l’évaluation des performances et les opportunités de carrière.

Ici, la ligne entre encouragement et coercition est floue, car le consentement à travailler plus n’est pas pleinement libre ni éclairé, mais influencé par la crainte de conséquences négatives.

Pour conclure cet article je rappelle à nouveau que la soumission librement consentie, tout en étant un concept fondamental en psychologie sociale, soulève des questions éthiques cruciales dans le monde moderne et notamment dans la sphère du travail comme exprimé dans cet article.

Nous l’avons vu, la distinction entre persuasion et manipulation, la protection de la liberté de choix, et la capacité de faire des choix éclairés sont au cœur des enjeux actuels relatifs au respect de la personne.

A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:

Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion

Partie 2 – Techniques de manipulation psychosociale

Partie 3 – Couple : La question de la soumission librement consentie

Partie 4 – La manipulation dans la sexualité et le consentement éclairé

Partie 5 – L’individu au travail & la soumission librement consentie

Je vous propose aussi quelques articles et vidéos sur des sujets qui pourraient vous intéresser:

  1. Agressions sexuelles et harcèlement en France
  2. Pourquoi sommes-nous influençables? – L’influence sociale
  3. La soumission à l’autorité – Quelques réflexions à la suite des conclusions de Milgram
  4. La valorisation du travail, une injustice sociale?
  5. Le conformisme (Psychologie Sociale)

Tous droits réservés – © William Milliat / Esprit Psy

Toutes les photos proviennent des banques d’images gratuites suivantes:

https://www.pexels.com

https://fr.freepik.com

https://www.freeimages.com

https://unsplash.com

Bibliographie:

Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses Universitaires de Grenoble.

Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1996). Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rationalisation. Presses Universitaires de France.

Cialdini, R. B. (2004). Influence et manipulation. First.

Dejours, C. (1998). Souffrance en France: La banalisation de l’injustice sociale. Seuil.

Gagnon, É. (2017). Communiquer pour mieux vivre. Éditions de l’Homme.

Lévy, F. (2010). Le couple, son intimité et ses secrets. Albin Michel.

Alter, N. (2012). Donner et prendre : La coopération en entreprise. La Découverte.

Ricoeur, P. (1995). Soi-même comme un autre. Seuil.

Sibony, D. (2003). Entre-deux: L’origine en partage. Seuil.

Visitez mes réseaux sociaux :

Partagez sur :

DALL·E 2025-03-21 16.53.42 - Three people holding hands in a closed circle, representing a toxic emotional cycle
Parlons du triangle de Karpman dans sa dynamique
Le triangle de Karpman, ce n’est pas juste un concept théorique pour étudiants en psycho, il peut être vite mis en pratique par tout un chacun, d'ailleurs je le propose assez souvent en consultation comme support à la pensée dans de nombreuses configurations de relations toxiques. Car c’est un outil redoutablement éclairant pour comprendre, en première...
Continuer la lecture !
DALL·E 2025-03-21 16.41.52 - A symbolic and emotional illustration showing a crowd of people with blurred or indistinct faces, turning their backs on a single person in distress
Pourquoi tant de personnes minimisent-elles les abus?
Cette question on me la pose souvent et elle semble traduire une détresse vécue par de nombreuses victimes d'abus. J'avais déjà un peu abordé cette thématique il y a quelques semaines et je vous propose de continuer la réflexion en répondant rapidement ce matin à la question. Partons d'une situation tellement classique: une victime raconte son histoire...
Continuer la lecture !
DALL·E 2025-03-17 14.35.53 - A middle-aged male doctor, around 50 years old, standing in a dominant posture over a seated female patient
Du piège de la relation médicale pour les victimes d'abus
Les personnes ayant connu ou devant suivre un parcours médical au long cours peuvent être confrontées à un sentiment d’inconfort (voire même de détresse) au sein de leur relation avec leur soignant. La maladie et la douleur créent en nous une posture de faiblesse face à celui «qui sait», celui «qui peut». Cette attente vis-à-vis de l’autre peut être...
Continuer la lecture !
DALL·E 2025-03-15 19.15.52 - A woman in her forties standing in front of a mirror, looking at her reflection
Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Vraiment ?
On aime bien cette phrase dans notre société, comme si la douleur était un professeur exigeant qui forge notre caractère... Stop! C'est violent en fait ce qui se raconte en ce sens! Car en réalité, tout ce qui ne nous tue pas peut aussi nous laisser brisés, fatigués, méfiants, etc. Survivre à une épreuve ne signifie pas en ressortir grandi, et parfois...
Continuer la lecture !
DALL·E 2025-03-13 19.23.10 - Une femme de face avec une expression neutre, illustrant le concept d’influencer progressivement le cerveau
Influencer notre cerveau, progressivement, c'est possible!
Aujourd'hui je vous propose un petit programme pour booster votre impact neurochimique! Alors bien entendu il ne s'agit pas de contrer les tsunamis émotionnels ressentis par certains ou certaines selon les moments, mais plutôt de créer une gymnastique vertueuse dans les moments plus calmes où le conscient peut agir avec plus de puissance. Je m'explique:...
Continuer la lecture !