ESPRIT PSY

Parlons du triangle de Karpman dans sa dynamique

Le triangle de Karpman, ce n’est pas juste un concept théorique pour étudiants en psycho, il peut être vite mis en pratique par tout un chacun, d’ailleurs je le propose assez souvent en consultation comme un outil d’observation qui peut servir de support à la pensée dans de nombreuses configurations de relations toxiques.
Car c’est un outil redoutablement éclairant pour comprendre, en première approche et en dehors d’une analyse transférentielle plus subtile par exemple, ce qui se joue « en douce » si je puis dire dans nos relations! Que ce soit avec un ami qui se plaint sans fin, un proche qu’on veut aider à tout prix, un collègue qui nous fait passer pour le méchant ou même un partenaire avec qui on rejoue toujours les mêmes scènes…
Je vous propose de partir d’un exemple concret pour saisir le mécanisme du triangle et la dynamique des rôles associés, l’objectif étant qu’une fois cette dynamique conscientisée vous puissiez en sortir si cela vous donne envie 🙂 .
Imaginez cette scène: Alice et Sophie sont amies depuis longtemps et ce soir, autour d’un café, Sophie se confie, épuisée par sa relation avec son conjoint.
– J’en peux plus… Il ne m’écoute jamais, il prend toutes les décisions tout seul. J’ai l’impression d’être transparente et même parfois écrasée.
Alice, qui tient beaucoup à son amie, se sent très concernée par sa souffrance et elle veut l’aider. Alors immédiatement elle se positionne en « sauveuse » et propose des solutions à son amie:
-Pourquoi tu ne lui en parles pas clairement ? Explique-lui ce que tu ressens!
Mais Sophie secoue la tête.
– Oui, mais il va encore dire que j’exagère et que je dramatise…
Alors Alice insiste:
– Ben essaie d’établir des limites, dis-lui que ce n’est plus possible pour toi!
Sophie soupire.
– Oui, mais chaque fois que j’essaie, il se braque et ça finit en dispute…
Petit à petit Alice sent une frustration monter. Et oui… Elle a l’impression que Sophie rejette toutes ses idées. Elle qui voulait simplement aider commence à perdre patience face aux « oui mais » de son amie, elle se sent comme impuissante et ça lui crée un inconfort profond.
– Franchement, Sophie, si tu refuses toutes les solutions qu’on te donne, alors pourquoi tu te plains?!
Boooom! En un instant, Alice bascule, elle n’est plus dans le rôle du « sauveur »… elle devient « persécuteur »!
Sophie, de son côté, encaisse.
Mais blessée par cette phrase, elle se sent jugée et incomprise. Elle qui se positionnait en « victime » face à son conjoint et devient maintenant la « victime » des reproches d’Alice.
– Tu ne comprends pas… c’est difficile tout ça pour moi, et j’ai juste besoin d’en parler. Je voulais juste un peu de soutien de mon amie, pas une leçon!
Alice, désormais agacée, lève les yeux au ciel.
– Bah écoute, débrouille-toi sans moi alors si je suis une donneuse de leçon! Moi j’ai juste essayé de t’aider un peu mais visiblement tu ne veux pas que ça change ton histoire! Ben ok, continue comme ça!
Elle se lève, vexée, et abandonne dès lors son rôle de « sauveur » et passe ici en « victime » à son tour, persuadée d’avoir été injustement rejetée.
Et donc Sophie, elle, voit son amie se détourner, ce qui a pour effet qu’un mélange de culpabilité et de colère l’envahit d’un coup. Elle, qui se sentait en détresse au début de la conversation, se retrouve désormais dans la position désagréable de « persécuteur » en accusant Alice d’être insensible.
– Super l’amitié… merci… Dès que j’ai un problème, en gros tu préfères fuir plutôt que de m’écouter! C’est cool, vraiment merci!
 
Et voilà comment en l’espace de quelques minutes les rôles ont tourné entre victime-sauveur-persécuteur dans un enchaînement toxique pour la relation.
Reprenons ce que l’on vient d’observer dans ce petit cas car c’est un cycle classique du Triangle de Karpman. Les rôles n’y sont jamais figés (même si certains le laissent croire dans leurs articles ou vidéos) et c’est justement là où réside son piège: à chaque interaction, les places peuvent changer, les frustrations s’accumulent et tout le monde finit par en sortir épuisé. Il n’y a jamais de gagnant dans un triangle de Karpman (sauf si une personne perverse en fait partie car elle va pouvoir s’en donner à coeur joie…).
Précisons que, hors perversion, ce schéma se met en place de façon inconsciente et chacun joue un rôle qui lui semble naturel au départ: C’est à dire que la « victime » veut de l’écoute (pour ne pas dire de l’affection), mais en restant dans l’impuissance elle peut épuiser son entourage ou la personne qui l’écoute.
Le « sauveur », lui, pense bien faire, mais en voulant imposer des solutions (et oui imposer car il n’y a aucune demande faite par la « victime » explicitement), il va infantiliser la personne et au final se fatiguer devant les « oui mais » qui s’accumulent (c’est vraiment le truc à repérer pour sentir qu’on plonge dans un triangle de Karpman).
C’est là que le « persécuteur » apparait et pense réveiller l’autre (comme un électrochoc), en fait ça soulage juste du poids de l’impuissance ressenti par le « sauveur » mais cela n’offre rien de positif à la « victime », il ne fait finalement qu’alimenter un rapport de force qui n’était pas là au départ de la conversation.
 
Vous le comprenez à ce stade, ce triangle est toxique car il donne une illusion d’un échange, alors qu’en réalité il alimente un conflit qui se déploie sous les yeux des protagonistes, un conflit où personne ne trouvera satisfaction (à part une personne structurellement perverse je le reprécise).
 
Déjà avec tout ce que l’on vient de voir, j’imagine que de nombreuses idées vous sont venues à l’esprit et donc je ne vais ici que vous proposer rapidement quelques pistes de réflexions afin de sortir du triangle, n’hésitez pas à les développer dans le sens qui vous conviendra.
Si l’on se retrouve à un moment dans le rôle de la « victime », au lieu de chercher un Sauveur, se demander peut-être très clairement (donc explicitement sans détour) ce dont on a besoin. Par exemple: « J’imagine que c’est pas facile d’entendre ma souffrance et de te sentir impuissante, mais j’aimerais juste Alice que tu m’écoutes sans chercher de solution, ça me fait du bien que tu sois juste un peu là pour moi ».
C’est en effet en prenant conscience que personne ne viendra finalement nous « sauver » et que le changement ne peut venir avant tout que de soi que la mécanique inconsciente du triangle de Karpman pourra se stopper d’un coup et éviter d’abimer la relation.
Alors maintenant si l’on s’aperçoit qu’on s’est embarqué dans le rôle du « sauveur », avant de donner un conseil, peut-être demander: « tu veux juste en parler ou tu veux mon avis? »… Ça veut dire que l’on est prêt à respecter le rythme de l’autre et à accepter qu’il ne soit pas prêt à agir (donc respirer et calmer son ressenti d’impuissance à ce stade s’il pointe son nez…).
Si l’on est dans le rôle du « persécuteur » et que l’on s’en aperçoit, se poser la question suivante pourra aider: « est-ce que je critique pour aider ou pour évacuer ma frustration face à mon ressenti d’impuissance? »…
Car oui, au lieu d’attaquer, on peut exprimer son ressenti sans accuser l’autre et sans abimer la relation:  »Excuse moi, j’y suis allée trop fortement Sophie, j’ai eu l’impression que tu n’avais pas envie de trouver de solution et ça m’a frustrée, mais j’ai bien conscience que c’est toi qui est dans la situation, mon avis extérieur n’a rien à faire ici… »
 
D’ailleurs, pour avoir le cas complet, reprenons totalement l’échange entre Alice et Sophie et imaginons une saine sortie du triangle qui va préserver la relation de toute toxicité:
Sophie: « Je n’en peux plus… Il ne m’écoute jamais, il prend toutes les décisions tout seul, etc. »
Alice: « Ça a l’air vraiment difficile pour toi, tu veux juste en parler ou tu veux qu’on cherche ensemble des pistes pour que ça change? »
Sophie: « Pour l’instant, j’ai juste besoin d’en parler… »
Alice: « Ok, je suis là pour écouter… »
Ici Alice ne tombe pas dans le rôle du « sauveur », elle vérifie ce dont Sophie a besoin et Sophie, en exprimant clairement son attente, évite finalement de la mettre en échec.
Sophie: « Mais tu sais j’ai essayé de lui parler et il ne change rien… »
Alice: « J’entends bien, ça doit être super frustrant… Et toi, comment tu te sens dans tout ça? »
Plutôt que de lui dire quoi faire, Alice lui retourne la responsabilité, elle l’aide à reprendre le pouvoir sur son ressenti au lieu de l’enfermer dans le rôle de « victime » que le triangle propose.
 
Voilà voilà, j’espère que ce petit cas pratique vous permettra, s’il y a lieu dans certaines relations, de saisir le type d’échange qui pourrait permettre d’éviter l’engrenage du triangle de Karpman et de maintenir une relation plus équilibrée où chacun finalement reste dans sa propre responsabilité.
 
Du coup, pour bien démarrer, la prochaine fois qu’un proche se confie à nous, posez-nous la simple question: suis-je en train d’écouter ou d’essayer de sauver? Suis-je en train de donner un espace d’expression ou d’imposer ma vision? Et surtout… Est-ce que je reste dans ma responsabilité ou est-ce que je glisse dans un jeu psychologique où les rôles sont tournant?
 
 

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