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Les souvenirs douloureux qui ressurgissent d'un coup... Tourner la page?!

Beaucoup de personnes en témoignent, il peut arriver parfois qu’un souvenir refasse d’un coup surface chargé d’une émotion brute, presque comme s’il venait de se produire. Une sorte de retour violent du passé.
Je rappelle ici que la mémoire n’est pas un simple catalogue figé de nos expériences et dont le classement se fait de manière standardisée pour tous les évènements. Un souvenir douloureux peut rester hors du champ de la conscience sans jamais disparaitre vraiment, il peut être enfoui, mis en veille, mais il ne cesse pas d’exister pour autant. Freud parlait du retour du refoulé, cette idée que ce qui a été trop difficile à affronter au moment où cela s’est produit peut être mis de côté par le psychisme, non pas effacé, mais relégué dans l’ombre, en attente d’un moment où il pourra émerger.
Les neurosciences confirment aujourd’hui ce que la psychanalyse avait ainsi déjà entrevu: les souvenirs liés à des expériences traumatiques ne sont pas stockés dans le cerveau de la même manière que les souvenirs neutres ou heureux. Dans un contexte de stress intense, l’amygdale, structure cérébrale impliquée dans la gestion des émotions, s’active fortement, tandis que l’hippocampe, qui est responsable de l’intégration cohérente des souvenirs, peut voir son fonctionnement altéré (parfois très fortement). Résultat: l’événement est fragmenté, dissocié et parfois même inaccessible à la conscience jusqu’au jour où un élément (ça peut être une odeur, un son, un lieu, une sensation, etc.) vient raviver ce qu’on pourrait appeler la « trace latente » du souvenir.
Et cela peut être très perturbant pour la personne car ce qui peut refaire surface n’est pas seulement une image ou un fait, mais c’est souvent plutôt une émotion brute ou une sensation corporelle ou encore une angoisse inexpliquée qui semble surgir sans cause apparente…
J’ai tendance à dire à mes patients que ces résurgences ne sont pas des caprices de l’esprit mais plutôt des messages de la mémoire traumatique.
Si un souvenir revient avec force, c’est que les conditions sont peut-être réunies pour qu’il soit identifié, compris, intégré, replacé dans le fil de l’histoire de la personne. Pour ce faire on pourra s’interroger sur ce que le souvenir vient dire, quel sens il prend aujourd’hui et pourquoi il ressurgit maintenant.
 
Mais précisons aussi que dans les trajectoires de vie marquées par des traumatismes, ces retours de mémoire peuvent être particulièrement violents. Un événement mis à distance inconsciemment peut tout à fait refaire surface sous forme de flashs, de cauchemars, de symptômes corporels, de crises d’angoisse apparemment déconnectées du passé! Et donc ce que l’on pouvait croire derrière soi n’est pas derrière, mais en nous, inscrit quelque part et réapparaît lorsqu’un élément dans le présent vient en résonance avec ce passé (le processus thérapeutique peut d’ailleurs être cet élément pour de nombreuses personnes).
 
Alors que penser de cette expression « tourner la page » qui reste une injonction sociétale bien inadaptée au fonctionnement de la mémoire humaine? Parce que cette expression, bien trop souvent entendue par les victimes d’abus, donne l’illusion qu’il suffirait de décider d’oublier, de choisir de ne plus être affecté!
Cette ignorance souvent doublée d’un manque sévère d’empathie pour les victimes, pourrait prêter à sourire si elle ne portait en elle un surplus de violence… Parce qu’il ne s’agit pas d’une question de volonté: ce qui a marqué l’être en profondeur ne s’efface pas par simple choix.
A toutes les personnes au prise avec la mémoire traumatique je dirais qu’il ne s’agit pas tant de tourner la page que d’essayer de la lire autant que possible, de comprendre ce qu’elle contient, de lui donner une place plutôt que de l’ignorer.
L’enjeu n’est pas d’oublier il me semble, mais de ne plus être hanté(e).
 
Le travail courageux de tant de patients le montre, un souvenir reconnu, travaillé et intégré cesse d’être autant un poids qui s’impose à eux malgré eux, je dirais que la charge traumatique du souvenir à été abaissée rendant le souvenir en capacité d’être « historisé ».
Pour autant il me semble que plus la charge traumatique en lien avec un souvenir est puissante, et plus ce travail d’historisation sera complexe et douloureux pour la personne.
 
Disons-le clairement , c’est une injustice de plus pour une victime que d’avoir à affronter, quand elle le peut et/ou le souhaite, ce processus douloureux qui reste l’une des conséquences d’un traumatisme déjà subi.
S’il y a encore beaucoup à écrire sur la mémoire traumatique, j’espère que ce moment passé avec vous vous aura offert quelques éléments de réflexion sur le sujet.
 
Et si déjà ce petit article permet d’avoir fait saisir à une seule personne que demander de « tourner la page » à une victime d’abus est une violence supplémentaire pour elle, ça valait le coup de l’écrire!
 

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