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Développement Moral de l'individu - Le modèle de Kohlberg

Cet article présente le modèle de développement moral de Lawrence Kohlberg qui est l’un des cadres théoriques les plus influents dans le domaine de la psychologie morale. Développé dans les années 1950 et 1960, ce modèle vise à expliquer comment les individus développent leur capacité à juger moralement au cours de leur vie.

Le modèle de développement moral est basé sur une série d’étapes progressives, chacune représentant un niveau supérieur de raisonnement moral comme le propose Kohlberg.

L’intérêt de ce modèle réside non seulement dans son approche développementale, mais aussi dans sa capacité à susciter des discussions sur l’éducation morale, l’éthique et la psychologie… De quoi donc nous intéresser sur la plateforme ESPRIT PSY !

Kohlberg a expliqué son modèle en affirmant que le développement moral est un processus progressif, où chaque stade représente une compréhension plus sophistiquée de la moralité que le précédent.

Selon ses propres mots, en 1971, « La moralité de l’action dépend de la manière dont l’acteur structure la situation, et non simplement des valeurs et des règles morales suivies ».

 

PRÉSENTATION DU MODÈLE

Kohlberg a identifié trois niveaux principaux de développement moral, chacun divisé en deux stades, faisant un total de six stades.

I – Le premier niveau, le niveau préconventionnel

Le niveau préconventionnel concerne principalement les enfants et se caractérise par un raisonnement basé sur les conséquences personnelles d’une action.

Les stades 1 et 2 de ce niveau traitent respectivement de l’obéissance et de l’évitement de la punition, puis de l’intérêt personnel et de la réciprocité.

  • Stade 1 : L’obéissance et la punition – Les actions sont évaluées en termes de conséquences physiques immédiates plutôt qu’en termes de bien ou de mal. Le comportement correct est associé à l’évitement de la punition.
  • Exemple: Tom pourrait décider de ne pas voler un jouet parce qu’il craint d’être attrapé et puni par ses parents ou par le personnel du magasin. Sa décision de ne pas voler le jouet est motivée par la peur des conséquences négatives pour lui-même, plutôt que par une compréhension que voler est moralement répréhensible.
  •  
  • Stade 2 : Individualisme, but et échange – Les individus reconnaissent qu’il existe différents points de vue et intérêts. Les actions correctes sont celles qui satisfont les besoins personnels et parfois ceux des autres, avec une reconnaissance des échanges et des faveurs comme base de l’interaction sociale.
  • Exemple: Tom pourrait envisager de voler un jouet en pensant aux bénéfices qu’il en tirerait (obtenir le jouet qu’il désire) et en évaluant si le risque de punition vaut ces bénéfices. Il pourrait également envisager un scénario où il rendrait un service ou ferait une faveur en échange du jouet, montrant une compréhension primitive de l’échange, mais toujours centrée sur la satisfaction de ses désirs personnels.
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Kohlberg a soutenu que, à ces stades, les individus agissent principalement par intérêt personnel sans considération pour les normes ou les valeurs sociétales. on le saisit donc, dans les deux exemples, le raisonnement de Tom est guidé par des considérations préconventionnelles où les conséquences directes de ses actions sur lui-même et la satisfaction de ses besoins immédiats priment sans tenir compte des principes moraux ou des normes sociales qui considèrent le vol comme incorrect.

 

II – Le deuxième niveau: le niveau conventionnel

Le deuxième niveau, le niveau conventionnel, est le plus courant chez les adolescents et les adultes. Il se caractérise par une acceptation des normes sociales et une conformité à celles-ci.

Les stades 3 et 4 concernent respectivement la bonne conduite telle que déterminée par l’approbation sociale et le maintien de l’ordre social par le respect de l’autorité et l’adhésion aux règles établies.

  • Stade 3 : Bons rapports interpersonnels – À ce stade, les individus considèrent que le comportement correct est celui qui plaît, aide et est approuvé par les autres. Ils valorisent la confiance, le respect, la gratitude et les bons rapports.
  • Exemple : Lucas triche à un contrôle en classe et Sophie le voit faire. Sophie pourrait choisir de ne pas dénoncer Lucas parce qu’elle valorise leur amitié et ne veut pas lui causer de problèmes. Elle pense que maintenir une bonne relation avec Lucas est plus important que de suivre les règles du collège, car elle veut être vue comme une amie loyale et fiable.
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  • Stade 4 : Maintien de l’ordre social – Les individus à ce stade croient que le comportement correct consiste à faire son devoir dans la société, à respecter l’autorité et à maintenir l’ordre social et le bien-être collectif.
  • Exemple : Sophie pourrait décider qu’il est de son devoir de signaler la tricherie de Lucas aux enseignants, malgré l’impact négatif potentiel sur leur amitié. Elle reconnaît que le respect des règles et le maintien de l’ordre social sont essentiels pour le bien-être de la communauté scolaire dans son ensemble. Elle juge que dénoncer la tricherie est la bonne chose à faire pour préserver l’intégrité de l’environnement scolaire, même si cela peut nuire à sa relation avec Lucas.
  •  

Dans nos exemples, le dilemme moral de Sophie et sa décision finale reflètent les enjeux du niveau conventionnel de développement moral. Que Sophie choisisse de protéger son ami ou de respecter les règles du collège, sa décision est guidée par des considérations basées sur les attentes sociales et le désir de maintenir de bonnes relations interpersonnelles ou l’ordre social, caractéristiques du raisonnement moral au niveau conventionnel.

III – Le troisième niveau: le niveau postconventionnel

Le troisième niveau, le niveau postconventionnel, représente le plus haut degré de développement moral selon Kohlberg et les individus à ces stades font preuve selon lui d’un raisonnement moral autonome, guidé par des principes universels d’éthique et de justice.

Les stades 5 et 6 impliquent respectivement une reconnaissance de la relativité des valeurs personnelles et des droits légaux, et l’adhésion à des principes éthiques universels.

Je précise dès lors qu’existe ici l’idée de principes « au-dessus de certaines lois créées par les humains », si ces lois ne sont pas justement conformes aux principes universels d’éthiques et de justices. Par exemple, si une loi impose d’agir contre une certaine catégorie de population, un individu pourra agir différemment selon son stade de développement moral.

  • Stade 5 : Contrat social et droits individuels – Les individus reconnaissent l’importance des lois et des règles pour maintenir une société fonctionnelle, mais ils croient aussi que ces règles peuvent être changées si elles ne servent pas le bien commun. Ils valorisent les droits individuels et le contrat social.
  • Exemple : Marie est confrontée à une situation où une entreprise prévoit de détruire une forêt ancienne pour construire un nouveau complexe industriel. Bien que l’entreprise ait reçu toutes les autorisations légales nécessaires, Marie croit fermement que la destruction de cet écosystème irremplaçable est moralement répréhensible, en raison de son impact sur la biodiversité et le bien-être des générations futures. Guidée par ses principes éthiques universels de respect pour la nature et responsabilité envers les générations futures, elle organise des manifestations pacifiques et lance une campagne de sensibilisation pour protéger la forêt, défiant ainsi les décisions gouvernementales et les intérêts commerciaux.
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  • Stade 6 : Principes éthiques universels – Les décisions morales sont prises en fonction de principes éthiques universels tels que la justice, la dignité humaine, et l’égalité. Les individus à ce stade sont prêts à défendre ces principes, même face à des lois injustes ou à des sanctions personnelles.
  • Exemple : Rosa Parks, une figure emblématique de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. En 1955, dans le Sud ségrégationniste des États-Unis, les lois Jim Crow imposaient la séparation raciale dans les lieux publics, y compris dans les bus, où les Afro-Américains devaient céder leur place aux passagers blancs. Un jour, Rosa Parks refuse de céder sa place à un passager blanc dans un bus de Montgomery, en Alabama, en violation directe des lois locales de ségrégation. Son acte de désobéissance civile n’était pas une simple rébellion contre une loi spécifique, mais une affirmation des principes éthiques universels de justice, d’égalité et de dignité humaine. Rosa Parks a agi en se fondant sur une conviction profonde que toutes les personnes méritent un traitement égal, indépendamment de leur race, et que les lois discriminatoires étaient fondamentalement injustes et devaient être contestées.
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APPLICATION AUX ENJEUX SOCIÉTAUX

Le modèle de développement moral de Lawrence Kohlberg offre un cadre intéressant pour aborder et comprendre des problématiques sociétales modernes.

Il permet d’analyser comment les individus et les groupes prennent des décisions morales face à des enjeux complexes et souvent conflictuels.

Voici par exemple quelques domaines où il me semble pertinent d’appliquer ce modèle de Kohlberg pour éclairer certaines des problématiques sociétales contemporaines :

1 – dans le domaine de l’éducation, le modèle de Kohlberg peut servir à élaborer des programmes visant à promouvoir le développement moral des élèves. En reconnaissant les différentes étapes du développement moral, les éducateurs peuvent créer des environnements d’apprentissage qui encouragent les élèves à réfléchir à des dilemmes moraux complexes et à progresser vers des niveaux de raisonnement plus élevés.

Par exemple, l’intégration de discussions en classe sur des cas de figure éthiques ou des dilemmes moraux peut aider les élèves à comprendre les perspectives d’autrui et à développer leur capacité à raisonner à un niveau postconventionnel. Les enjeux sont donc ici d’éduquer les nouvelles générations à plus de compréhension et d’intégration de ce que peuvent être l’empathie, la justice, l’éthique, la liberté, etc.

2 – le modèle de Kohlberg offre également une perspective intéressante sur le système judiciaire et la législation. Les stades supérieurs du développement moral, qui valorisent les principes éthiques universels et les droits individuels, peuvent éclairer le débat sur des questions telles que les droits de l’homme, l’égalité devant la loi, et la réforme de la justice pénale. Par exemple, un raisonnement moral au niveau postconventionnel pourrait soutenir des approches plus humanistes et réhabilitatives de la justice pénale, contrairement aux approches punitives et rétributives souvent associées aux niveaux préconventionnel et conventionnel…

3 – il peut aussi être utilisé pour analyser la manière dont les individus abordent les questions d’environnement et de durabilité. Face à la crise climatique et à la dégradation de l’environnement, un raisonnement moral au niveau postconventionnel pourrait favoriser la reconnaissance de notre responsabilité envers les générations futures et la nécessité de principes éthiques universels guidant nos actions en matière d’environnement (on en est loin il me semble…).

Cela pourrait encourager des décisions qui vont au-delà de l’intérêt personnel ou de la conformité aux normes sociales, en faveur d’actions qui tiennent compte de l’équité intergénérationnelle et de la justice environnementale. De véritables politiques environnementales pourraient alors être bâties avec une logique de préservation des intérêts collectifs de long terme (eau, air, sols, ressources, etc.).

4 – dans le domaine de la technologie et de l’éthique numérique, le modèle de Kohlberg peut aussi aider à comprendre comment les individus prennent des décisions concernant des questions telles que la vie privée, la surveillance, et l’intelligence artificielle. Alors que oui la technologie façonne de plus en plus notre monde, un raisonnement moral élevé pourrait guider le développement et l’utilisation de technologies de manière responsable, en tenant bien plus compte des implications éthiques et des impacts sur la société et l’individu.

5 – Sur la plateforme ESPRIT PSY, il m’apparait évident de nous poser la question si ce modèle ancré dans le domaine de la psychologie morale peut également trouver un intérêt pour des questions de psychologie ou de psychanalyse… la réponse me semble être oui, mais avec quelques réserves.

Dans le champ de la psychologie, le modèle de Kohlberg peut contribuer à une meilleure compréhension du développement cognitif et émotionnel. Par exemple, les psychologues s’intéressent à la manière dont les individus intègrent les normes sociales et éthiques dans leur propre système de valeurs, un processus au cœur du modèle de Kohlberg. La reconnaissance des différents stades de développement moral peut aider les psychologues à évaluer où un individu se situe dans son parcours de développement moral, à identifier d’éventuelles difficultés ou retards dans ce développement, et à élaborer des stratégies pour favoriser un raisonnement moral plus avancé.

Du point de vue de la psychanalyse, le modèle de Kohlberg peut être intéressant pour explorer la relation entre le développement moral et les structures inconscientes de la personnalité. La psychanalyse se concentre sur la manière dont les conflits internes inconscients influencent le comportement et la pensée. Bien que la théorie de Kohlberg ne s’inscrive pas directement dans le cadre psychanalytique, elle peut néanmoins offrir un axe de réflexion pour examiner comment les conflits entre les désirs personnels et les normes morales internalisées (surmoi) se résolvent à différents stades de développement moral. La psychanalyse pourrait s’intéresser à la manière dont les expériences de l’enfance et les relations avec les figures parentales influencent le développement des stades moraux chez l’individu. Par exemple, les expériences qui renforcent l’autonomie et la capacité de jugement pourraient favoriser l’atteinte de niveaux plus élevés de raisonnement moral, tandis que des expériences négatives ou répressives pourraient entraîner des difficultés à dépasser les stades préconventionnels ou conventionnels.

CRITIQUES DU MODÈLE DE KOHLBERG

 

Le modèle de Kohlberg a fait l’objet de critiques, notamment en ce qui concerne sa méthodologie et ses hypothèses fondamentales.

L’une des critiques les plus courantes est son apparente focalisation sur la justice au détriment d’autres valeurs morales, comme le soin et la compassion, ce qui a mené Carol Gilligan (1982) à proposer une théorie alternative du développement moral axée sur l’éthique du soin. Gilligan a soutenu que le modèle de Kohlberg reflète une perspective principalement masculine et ignore les différences de genre dans le raisonnement moral.

De plus, certains chercheurs ont remis en question l’universalité des stades de Kohlberg, suggérant que le développement moral peut être influencé par des facteurs culturels, sociaux et individuels qui ne sont pas pris en compte dans son modèle.

Ces critiques mettent en lumière la complexité du développement moral et suggèrent que d’autres facteurs, au-delà du raisonnement moral abstrait, jouent un rôle important dans la manière dont les individus prennent des décisions morales.

Personnellement, la critique la plus forte que je porte au modèle reste que son approche structurée du développement moral m’apparait trop linéaire. Dans l’esprit de Piaget et des stades proposés à une époque en psychologie du développement de l’enfant, l’évolution d’un stade à l’autre apparait bien trop linéaire. Or la psychologie du développement a justement intégré depuis une approche plus mobile et souple, sans linéarité préétablie (et donc moins de rigidité). Ainsi, on peut imaginer qu’un individu puisse avoir des positionnements différents sur différents sujets et que donc un stade unique de développement moral ne pourrait le définir.

A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:

Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion

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  • Rapide Bibliographie :

    Kohlberg, L. (1981). The Philosophy of Moral Development: Moral Stages and the Idea of Justice (Essays on Moral Development, Volume 1). San Francisco: Harper & Row

    Kohlberg, L. (1984). The Psychology of Moral Development: The Nature and Validity of Moral Stages (Essays on Moral Development, Volume 2). San Francisco: Harper & Row

    Gilligan, C. (1982). In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development. Cambridge, MA: Harvard University Press

    Haidt, J. (2001). The Emotional Dog and Its Rational Tail: A Social Intuitionist Approach to Moral Judgment. Psychological Review, 108(4), 814-834

    Rest, J. R. (1986). Moral Development: Advances in Research and Theory. New York: Praeger

    Damon, W. (1980). The Moral Child: Nurturing Children’s Natural Moral Growth. New York: Free Press

    Kegan, R. (1982). The Evolving Self: Problem and Process in Human Development. Cambridge, MA: Harvard University Press

    Narvaez, D., & Lapsley, D. K. (Eds.). (2005). Moral Development, Self, and Identity. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates

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