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Couple: La question de la soumission librement consentie

A la suite de l’article sur le concept de la soumission librement consentie, nous poursuivons ici notre analyse en s’intéressant plus particulièrement aux relations au sein du couple.

Introduction: Consentement et respect mutuel

Pour être librement consentie, la soumission repose sur une communication ouverte et honnête, où les deux partenaires expriment leurs désirs, leurs besoins, et leurs limites.

Le consentement joue ici un rôle central, assurant que toute forme de soumission est basée sur une compréhension et un accord mutuel. Cela implique un processus de négociation réel où les deux parties discutent et s’accordent sur divers aspects de leur relation, qu’il s’agisse de décisions majeures comme celles concernant la sexualité, les finances, l’éducation des enfants, ou des choix de vie, ou de questions plus quotidiennes comme la répartition des tâches ménagères par exemple.

L’équilibre des pouvoirs est donc à questionner car une relation saine implique un équilibre où aucun partenaire n’exerce de pouvoir disproportionné sur l’autre. Lorsque la soumission est librement consentie, souvenons-nous qu’elle est le résultat d’un choix personnel, reflétant une dynamique de pouvoir équilibrée.

Dès lors, quand cette soumission devient unidirectionnelle ou reflète une dynamique de pouvoir inégal, où un partenaire consent régulièrement aux désirs de l’autre sans échange réciproque, alors la soumission consentie «librement» n’est-elle pas questionnable?

Dans une telle situation, la relation peut glisser vers une dynamique coercitive, même si la soumission est initialement perçue comme volontaire. Nous touchons là il me semble à toutes ces relations déséquilibrée en termes de pouvoir où des dynamiques de dépendance affectives peuvent venir brouiller le jugement de la personne pensant se soumettre « librement ».

Le respect mutuel est dès lors fondamental dans la dynamique de la soumission librement consentie et cela signifie selon moi de reconnaître et valoriser l’autonomie de l’autre, ses choix, et ses préférences.

Le respect mutuel implique bien entendu une prise en compte des besoins et désirs de l’autre, sans le forcer à se conformer à des attentes ou des normes qui ne correspondent pas à ses propres valeurs ou désirs. Cela peut se traduire dans le couple par le soutien des ambitions personnelles et professionnelles de chacun, la valorisation de l’indépendance de l’autre, et l’encouragement à poursuivre des intérêts personnels.

Comment vérifier si la soumission offerte à l’autre est un véritable choix ?

1- Réflexion sur l’équilibre des concessions accordées

Il peut y avoir une réflexion sur l’équilibre des concessions accordées de part et d’autre où trop de concessions d’un côté, par exemple, pourra amener à un sentiment de perte d’équité ou d’identité.

Prenons un exemple pour illustrer: Léa et Julien forment un couple depuis quelques années. Léa est une amatrice d’art et aime passer ses soirées et weekends à visiter des galeries d’art et des musées. Julien, lui, préfère les activités en extérieur, notamment le vélo et la randonnée. Au début de leur relation, dans un désir de plaire à Julien et de partager des moments avec lui, Léa accepte de l’accompagner dans ses excursions en plein air, mettant de côté ses propres passions. Elle perçoit cette concession comme un acte volontaire, un moyen de renforcer leur lien.

Cependant, au fil du temps, ce qui était initialement perçu par Léa comme une soumission librement consentie à la volonté de Julien commence à peser lourdement sur elle. Julien, de son côté, ne manifeste pas d’intérêt à participer aux activités qui passionnent Léa, créant ainsi un déséquilibre dans leur relation. Léa commence à ressentir un profond sentiment d’insatisfaction et de perte d’identité, réalisant qu’elle a involontairement renoncé à une partie d’elle-même pour s’adapter aux désirs de Julien. Ce qu’elle pensait être une soumission volontaire se révèle être une forme de soumission non consentie, où elle s’est lentement éloignée de ses propres intérêts et désirs.

Ce déséquilibre devient une source de tension entre eux, Léa se sentant de plus en plus comme si elle vivait selon les termes de Julien, sans espace pour ses propres passions. La situation atteint un point critique lorsque Léa exprime son malaise et son besoin de voir ses intérêts également pris en compte dans leur vie commune.

Notre exemple autour de Léa et Julien met en lumière comment une soumission initialement consentie et perçue comme volontaire peut, avec le temps, révéler un déséquilibre profond dans une relation. Léa, en cherchant à maintenir l’harmonie et à faire plaisir à Julien, s’est progressivement mise dans une position de soumission non consentie, sacrifiant ses propres intérêts. Cette situation souligne l’importance de maintenir un équilibre dans les concessions au sein d’une relation et de s’assurer que les deux partenaires se sentent entendus et valorisés dans leurs besoins et désirs individuels.

2- Réflexion sur la communication dans le couple

On pourra aussi vérifier que la communication est bien réelle dans le couple, car elle est nécessaire pour appréhender la soumission dans sa dimension consentie. Les malentendus ou les non-dits peuvent entrainer des consentements qui ne sont pas entièrement éclairés ou volontaires.

Prenons un exemple pour illustrer: Marie et Sylvie sont en couple depuis plusieurs années et partagent de nombreux intérêts communs, notamment un goût prononcé pour les soirées entre amis et les activités culturelles. Cependant, Sylvie a une passion pour les jeux vidéo, qu’elle considère comme un moyen de se détendre après le travail. Au début de leur relation, Marie, désireuse de partager des moments avec Sylvie et de s’intéresser à ses passions, accepte de jouer avec elle occasionnellement, bien qu’elle n’ait jamais été particulièrement attirée par les jeux vidéo.

Cette acceptation initiale de Marie est perçue par Sylvie comme un consentement volontaire et un intérêt partagé pour son hobby. Cependant, au fil du temps, Sylvie commence à planifier de plus en plus souvent des soirées jeux vidéo, assumant que Marie apprécie ces moments autant qu’elle. Marie, ne voulant pas décevoir Sylvie ou créer de conflit, continue de participer sans exprimer son manque d’intérêt croissant pour les jeux vidéo.

Le problème réside dans le fait que leur communication sur le sujet est superficielle. Marie ne communique pas clairement son désintérêt pour les jeux vidéo, pensant que cela pourrait blesser Sylvie ou lui donner l’impression qu’elle ne s’intéresse pas à ses passions. De son côté, Sylvie, faute de recevoir des signaux contraires, croit sincèrement que Marie partage son enthousiasme pour les jeux vidéo.

Ce manque de communication véritable aboutit à une situation où le consentement de Marie à participer aux soirées jeux vidéo n’est pas entièrement éclairé ni volontaire. Elle se retrouve à consentir à une activité non par intérêt véritable, mais par un désir de maintenir l’harmonie dans le couple et de s’aligner sur les attentes qu’elle pense que Sylvie a d’elle. Ce consentement, initialement perçu comme volontaire, devient une forme de soumission non consentie, résultant d’un manque de communication authentique et d’une mécompréhension des besoins et désirs de chacun.

Une communication insuffisante peut ainsi mener à une soumission non consentie, même dans des situations où l’intention initiale était de partager et de participer à la vie de l’autre.

 
 
3- Une relation a le droit d’évoluer

Il m’apparait souhaitable de toujours se rappeler qu’une relation a le droit d’évoluer. Ainsi, ce qui a été consenti peut devenir non souhaité ensuite car les besoins ou les désirs d’un partenaire changent. Reconnaitre ces changements et s’y adapter est essentiel pour maintenir une relation saine ou les mots « librement consenti » prennent toute leur valeur.

Exemple: Anna et Maxime vivent ensemble depuis plusieurs années et ont établi des routines qui leur conviennent, notamment concernant le partage des tâches ménagères. Au début de leur cohabitation, Anna, qui apprécie particulièrement la cuisine, s’est volontairement proposée pour préparer les repas tous les soirs, tandis que Maxime se chargeait de la vaisselle et du nettoyage. Cette répartition des tâches était initialement consentie et appréciée par les deux, car elle semblait équilibrée et adaptée à leurs préférences individuelles.

Cependant, avec le temps, les circonstances d’Anna ont changé. Promue à un poste plus exigeant, ses horaires de travail se sont allongés, et le temps qu’elle peut consacrer à la cuisine s’est considérablement réduit. De plus, cette activité quotidienne, qu’elle aimait auparavant, est devenue pour elle une source de stress plutôt qu’un plaisir, d’autant plus que sa fatigue accrue le soir ne lui permet plus de cuisiner avec la même énergie.

Malgré ces changements, Anna continue de se sentir obligée de maintenir son engagement initial, craignant que modifier cet arrangement puisse être perçu comme un manquement à sa part du contrat ou une défaillance dans son rôle au sein du couple. Maxime, de son côté, observe la fatigue d’Anna mais interprète sa persistance à cuisiner comme une indication de son plaisir continu à assumer cette tâche, n’ayant pas pleinement réalisé à quel point la situation a évolué pour elle.

Mon exemple illustre comment un consentement initialement donné librement peut, avec le temps, se transformer en une forme de soumission non consentie, non pas par contrainte directe, mais par une pression interne à respecter un accord passé qui ne reflète plus la réalité actuelle. Anna se trouve dans une position où ce qu’elle avait volontairement choisi de faire est devenu une obligation qu’elle ne souhaite plus, mais qu’elle accepte par sentiment de devoir.

L’importance de reconnaître l’évolution des besoins et désirs au sein d’une relation est cruciale pour éviter que le consentement ne devienne obsolète et pour s’assurer que les deux partenaires se sentent véritablement libres dans leur engagement.

 

Pour conclure…

Celles et ceux qui connaissent mon cheval de bataille sur la chaine ESPRIT PSY ne seront pas surpris que j’insiste à nouveau ici l’importance que du rôle de l’éducation sur ce sujet, à tout âge. Avec une volonté de vérifier notre relation au sujet du consentement libre dans le couple, nous pourrons ensuite peut-être nous-même nous questionner, nous repositionner si besoin, promouvoir une compréhension nuancée et approfondie du consentement (qui va au-delà de la simple acceptation verbale), reconnaitre des dynamiques de pouvoir en identifiant comment l’âge, le statut socio-économique, le genre, et d’autres facteurs peuvent créer des déséquilibres de pouvoir, développer de l’autonomie et des compétences sociales, cela incluant l’apprentissage de la capacité à dire non, à reconnaître et respecter le non des autres.

C’est également par l’éducation collective que peut émerger une compréhension approfondie du consentement et des dynamiques de pouvoir pour la prévention des abus. En éduquant les individus sur les signes de manipulation, de coercition, et d’abus d’autorité, on les outille pour reconnaître et éviter les situations potentiellement préjudiciables, et on encourage une culture de respect mutuel, on promeut une culture de consentement dans tous les aspects de la société. Et tant mieux si cela implique de remettre en question les normes et les pratiques culturelles qui normalisent ou minimisent l’importance du consentement.

A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:

Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion

Partie 2 – Techniques de manipulation psychosociale

Partie 3 – Couple : La question de la soumission librement consentie

Partie 4 – La manipulation dans la sexualité et le consentement éclairé

Partie 5 – L’individu au travail & la soumission librement consentie

Je vous propose aussi quelques articles et vidéos sur des sujets qui pourraient vous intéresser:

  1. Agressions sexuelles et harcèlement en France
  2. Pourquoi sommes-nous influençables? – L’influence sociale
  3. La soumission à l’autorité – Quelques réflexions à la suite des conclusions de Milgram
  4. La valorisation du travail, une injustice sociale?
  5. Le conformisme (Psychologie Sociale)

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Bibliographie:

Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses Universitaires de Grenoble.

Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1996). Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rationalisation. Presses Universitaires de France.

Cialdini, R. B. (2004). Influence et manipulation. First.

Dejours, C. (1998). Souffrance en France: La banalisation de l’injustice sociale. Seuil.

Gagnon, É. (2017). Communiquer pour mieux vivre. Éditions de l’Homme.

Lévy, F. (2010). Le couple, son intimité et ses secrets. Albin Michel.

Alter, N. (2012). Donner et prendre : La coopération en entreprise. La Découverte.

Ricoeur, P. (1995). Soi-même comme un autre. Seuil.

Sibony, D. (2003). Entre-deux: L’origine en partage. Seuil.

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