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Quand l'enfant devient le parent de son parent: abus émotionnel

Avertissement : abus émotionnel du parent – inceste moral
 
Quand l’enfant devient le parent de ses propres parents… C’est un abus!
 
Il m’apparaît que l’un des schémas relationnels les plus invisibles mais pourtant dévastateurs est celui où un enfant devient, bien avant l’âge adulte, le parent de son propre parent.
 
C’est beaucoup plus courant qu’on ne le croit.
Et les enfants victimes de ça pensent être dans l’amour alors qu’elles baignent dans une relation toxique ou le parent est un abuseur caractérisé.
 
C’est l’une des composantes du climat incestuel et dont la conséquence est l’inceste moral.
 
La parentification de l’enfant est une inversion des rôles qui se fait souvent en douceur, presque  »naturellement », sous l’effet d’un contexte familial dysfonctionnel où l’enfant n’a pas le choix : il doit endosser une charge affective qui n’est pas la sienne.
 
Et je le redis, je me suis aperçu au fil des consultations, que ce phénomène touche bien plus de personnes qu’on ne le pense.
Ce sont par exemple ces enfants qui, très tôt, ont dû consoler un parent en souffrance, s’effacer pour ne pas créer de vagues, jouer le rôle du confident, de l’apaisant, parfois même du protecteur.
 
Je me souviens d’une femme d’une trentaine d’années et dont le discours ressemblait à celui de beaucoup d’autres adultes en fait:
« Depuis que j’ai six ans, je suis celle qui console ma mère. Quand elle pleure, je la prends dans mes bras, quand elle va mal, j’essaie de trouver les bons mots. Aujourd’hui encore, si je réponds pas à ses appels immédiatement elle se met à paniquer, à m’envoyer des dizaines de messages comme si j’étais son seul repère. »
 
Cette femme, comme tant d’autres, a grandi avec l’idée que son rôle était de soutenir l’adulte et non d’être soutenue.
 
Il m’apparaît que ce type de relation toxique pour l’enfant est souvent issu d’un déséquilibre structurel dans la parentalité: un parent fragile émotionnellement qui ne poussera jamais la porte d’un thérapeute, un climat familial instable, un divorce conflictuel, une dépression parentale non prise en charge ou encore un deuil mal traversé pour ne citer que quelques cas.
 
Dans ces situations, l’enfant, bien incapable de supporter la souffrance du parent, va développer une posture de sauveur persuadé malgré lui, et sans consentement éclairé, qu’il doit combler un vide, réparer une blessure, maintenir un équilibre.
 
Et j’ai constaté que ces enfants devenus adultes souffrent souvent, entre autres symptômes, d’une profonde fatigue psychique car leur vie entière a bien souvent été consacrée à répondre aux besoins d’un autre (d’abord ce parent toxique puis par automatisme engrammé les conjoints, amis, enfants…) avant même d’avoir pu comprendre les leurs.
Et j’ajouterai que ce qui peut apparaître encore plus insidieux, c’est que cette dynamique de  »sauveur » s’accompagne généralement d’une culpabilité vécue comme écrasante, ruminatoire, source d’une immense charge mentale supplémentaire qui ne trouve d’apaisement que lorsque la personne ‘s’oublie’ au profit des besoins de l’autre.
 
Il est donc difficile pour la personne de se sentir épanouie puisque toujours en dehors de ses désirs propres.
 
Ces patients semblent incapables de poser des limites, de dire non, de prendre leur propre espace sans être assaillis par un sentiment de trahison intense. C’est un long travail pour remettre leurs désirs au centre de leur vie sans culpabilité ressentie.
 
Ce qui est paradoxal, c’est que ces personnes peuvent se retrouver dans une forme de dépendance affective inversée : ce n’est plus eux qui ont besoin du parent, mais le parent qui dépend totalement d’eux, sur le plan émotionnel et parfois matériel. J’appelle ce type de parent des vampires émotionnels qui n’hésiteront pas à voler toute une vie durant la substance vitale de leur enfant à leur profit, parce que ça leur fait du bien à eux. Parce qu’ils en ont besoin…
C’est la signature de l’abus.
 
Je pense à cette femme m’expliquant, parmi tant d’autres discours similaires, « ma mère n’a jamais su être seule, elle a toujours compté sur moi pour la rassurer, pour l’accompagner, pour lui donner un sens à sa vie. Aujourd’hui encore, elle m’appelle trois fois par jour et si je ne réponds pas, elle me reproche de l’abandonner. J’ai essayé de lui expliquer, mais elle ne comprend pas, elle me fait me sentir comme une fille ingrate. »
Ce que cette femme exprimait reste pour moi l’une des plus grandes blessures des enfants ayant grandi dans cette configuration d’abus émotionnel: ils ne se sentent jamais « assez ».
Qu’ils donnent de leur temps, de leur énergie, de leur amour, il y a toujours une attente supplémentaire, une demande implicite d’être là pour l’autre, encore et encore…
 
Ces relations parent-enfant où l’enfant est assigné à un rôle d’adulte trop tôt sont souvent perçues comme normales, voire valorisées sous l’argument du « c’est un enfant mature, responsable, il a toujours su prendre soin des autres ».
Mais derrière cette maturité apparente se cache souvent une blessure de fond: ne pas avoir eu l’espace pour être un enfant insouciant, ne pas avoir pu expérimenter un amour inconditionnel où l’on reçoit sans avoir à donner en retour.
 

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