ESPRIT PSY

"Tu exagères!" ... un révélateur?

Quand dans un couple ou en famille cette petite phrase sort, « Tu exagères! », il faut bien saisir ce qui se joue souvent dans la dynamique relationnelle quand quelqu’un exprime ses émotions ou ressentis…
 
Alors si elle peut sembler anodine à première vue, elle m’apparaît pourtant redoutablement efficace pour invalider en douceur (mais pas que, elle peut cacher parfois une véritable brutalité passive!) ce qui, chez l’autre, relève d’un vécu subjectif, d’un ressenti authentique.
Il y a bien souvent négation de soi quand cette phrase nous est adressée.
 
Réfléchissons-y, on pourrait croire dans la conversation qu’il ne s’agit que d’un malentendu sur l’intensité, d’un désaccord sur la perception d’un événement… Mais il me semble en réalité que cette phrase devient souvent un poison lent. Elle est souvent ce que j’appelle un sommet d’iceberg éclairant car elle pointe par expérience une posture toxique dans la relation.
 
La petite exclamation, « Tu exagères! » a ceci de puissant dans la bouche d’un interlocuteur (un parent, un conjoint, un collaborateur, une amie ..) qu’elle transforme une émotion légitime en faute morale, un mal-être en théâtre, une réaction humaine en pathologie imaginaire.
« Tu exagères » ne dit pas seulement « tu ressens fort », elle sous-entend « ce que tu ressens n’a pas de valeur à mes yeux », « ta réalité n’est pas fiable », « ton émotion dérange », etc.
 
Et il suffit de l’entendre un certain nombre de fois pour finir par se taire!
Cette phrase attaque la confiance en soi, la légitimité et façonne les places et les rôles sociaux si on n’y prend pas garde…
 
Le mécanisme psychique est bien connu: à force d’être contredit dans son monde interne, on finit par douter de ce monde lui-même! C’est ainsi que s’installent les premières fissures dans la confiance en soi, non pas tant dans ce qu’on fait, mais dans ce qu’on ressent… Et c’est là que le danger devient profond en couple ou en famille notamment, car une personne qui ne se fie plus à son propre ressenti devient vulnérable à toutes les formes de manipulation, de domination émotionnelle ou d’invisibilisation.
 
Je l’ai constaté chez tant de patients, chez tant de personnes lucides qui pourtant ont fini par se convaincre qu’elles étaient « trop sensibles », « trop dans le passé », « trop compliquées ». Mais trop pour qui?! Trop pour quoi?!
 
Rappelons, n’en déplaise aux abuseurs et manipulateurs de tout poil, qu’une émotion n’est jamais un mensonge! Elle peut être le fruit d’un enchevêtrement psychique complexe, d’une histoire ancienne qui se réactive, mais elle est et sera toujours le témoin fidèle d’un ressenti interne ou d’un mouvement affectif réel.
Je ne peux qu’inviter toute personne à toujours prendre très au sérieux ce qu’elle ressent, en toute circonstance, même quand ça dérange, même quand c’est intense, même quand cela semble « exagéré » aux yeux des autres.
L’émotion dit toujours quelque chose de l’individu, de son histoire, de ses besoins, de ses blessures et refuser de l’entendre, c’est finalement refuser de voir la personne dans son intégralité il me semble.
 
Si cette phrase n’est jamais à banaliser, on peut maintenant s’intéresser au cas où, dans les relations les plus toxiques, cette phrase « tu exagères » devient une arme utilisée pour garder l’autre dans un état de doute permanent. C’est pratique pour le convaincre qu’il est le problème, que son inconfort est injustifié, que sa douleur est insupportable… non pas pour lui, mais pour celui qui ne veut pas l’accueillir!
 
Et plus encore, elle peut tristement devenir une forme d’auto-sabotage car à force d’avoir entendu « tu exagères », certaines personnes finissent par se le dire à elles-mêmes. Elles se censurent alors, elles minimisent, elles rationalisent l’insupportable!
Comme je l’entends régulièrement en séance, ces victimes d’abus émotionnels construisent un discours calme et logique autour d’une réalité qui, en vérité, les broie silencieusement et méticuleusement dans un cadre d’emprise.
Et pour être très clair, ce que ces victimes prennent parfois pour une paix intérieure n’est en fait qu’un compromis avec la douleur!
 
Alors ce jour, accompagné d’un thé noir au jasmin, j’avais envie de poser ça là, pour celles et ceux qui ont fini par croire que leur tristesse était trop grande, leur peur trop encombrante, leur colère trop inappropriée: non, vous n’exagérez pas!
Vous ressentez… Et c’est ok! Vous ressentez et c’est un fait, un fait psychique, un fait humain, un fait profond. Vous êtes légitime pour ressentir, vous êtes vivant, ne vous laissez pas éteindre par l’autre.
La vraie question n’est pas de savoir si vous êtes « trop », mais pourquoi cela gêne tant l’autre quand vous êtes pleinement vous-même!
Pourquoi par exemple vos larmes dérangent plus que l’indifférence? Pourquoi vos mots sont perçus comme une attaque alors qu’ils sont simplement une tentative de vous dire? Et surtout, pourquoi l’autre a-t-il tant besoin que vous vous minimisiez pour pouvoir continuer à exister confortablement à vos côtés?
 
Dans le fond, comme je propose souvent de le concevoir, cette petite phrase « tu exagères » en dit beaucoup plus sur celui qui la prononce que sur celui qui la reçoit… Elle révèle souvent une incapacité à se relier, une peur de la confrontation affective ou une forme de narcissisme défensif car tant que l’autre a tort, je n’ai pas à me remettre en question!
Mais rappelons bien encore qu’une relation saine, qu’elle soit amicale, amoureuse ou parentale, commence toujours par cette capacité précieuse à entendre sans juger, à accueillir sans corriger, à valider sans forcément approuver.
Entendre l’émotion de l’autre, c’est partager son humanité, c’est partager la vie sans l’étouffer.
 
 
 

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