Le concept de la soumission librement consentie trouve ses racines dans le champ de la psychologie sociale, explorant la manière dont les individus peuvent accepter l’autorité ou se conformer aux normes sociales non pas sous la contrainte ou par obligation, mais de leur plein gré.
Cette idée me semble soulever une complexité dans les dynamiques de pouvoir et d’autorité, révélant que la soumission peut ne pas uniquement résulter d’une pression externe ou de la coercition (A ce sujet je vous renvoie à mon article sur la soumission à l’autorité que vous trouverez ici). Au contraire, elle peut émerger d’un processus interne d’acceptation, où les individus trouvent personnellement un sens ou une justification à leur conformité.
Jean-Léon Beauvois et Robert-Vincent Joule, dans leur ouvrage de 1996, posent les bases de ce concept, en le définissant comme le résultat d’un processus par lequel une personne adopte un comportement ou une attitude non pas parce qu’elle y est contrainte par des forces extérieures, mais parce qu’elle y trouve un sens ou une justification interne.
Cette perspective est cruciale car elle met en lumière le rôle de l’engagement personnel et de la rationalisation dans l’acceptation des normes et des autorités.
Ce faisant, Beauvois et Joule questionnent les mécanismes psychologiques qui sous-tendent la conformité volontaire, suggérant que les individus ne sont pas de simples réceptacles passifs des influences sociales, mais des acteurs actifs dans leur propre processus de soumission. (Pour ceux qui le souhaitent vous trouverez ma vidéo sur le conformisme ici ainsi que ma vidéo sur l’influence sociale ici.)
L’importance du concept de Soumission librement consentie réside, il me semble, dans sa capacité à expliquer pourquoi et comment les individus peuvent adhérer à des systèmes de croyances, des pratiques, ou des lois qui, de l’extérieur, pourraient sembler limiter leur liberté ou leur autonomie.
En reconnaissant la soumission librement consentie, on admet que les individus recherchent une cohérence interne, cherchant à aligner leurs actions et leurs croyances avec ce qu’ils perçoivent comme étant socialement ou moralement justifiable.
Cette notion de soumission volontaire est d’autant plus pertinente dans nos sociétés contemporaines, où la question de l’autorité se complexifie avec la montée en puissance des réseaux sociaux, des mouvements de masse, et de la globalisation. Dans ce contexte, comprendre pourquoi les gens choisissent de suivre certaines tendances, idéologies ou leaders peut vraiment aider à démêler les fils des dynamiques sociales actuelles. Considérons bien que les individus sont en effet constamment sollicités par diverses formes d’autorité, qu’elles soient politiques, médiatiques, scientifiques, ou culturelles.
On peut vraiment se poser la question tant le concept de la soumission librement consentie s’inscrit dans une zone grise éthique. Avec l’omniprésence des médias sociaux, des stratégies de marketing avancées, et des campagnes politiques sophistiquées, je m’interroge souvent sur la frontière ténue entre persuasion et manipulation, un sujet d’actualité il me semble qui touche à l’autonomie individuelle et à la capacité des personnes à faire des choix éclairés dans un monde saturé d’informations.
Robert Cialdini, dans son ouvrage de 1984, explore les mécanismes par lesquels les individus sont amenés à changer d’attitude ou de comportement à travers six principes de persuasion : la réciprocité, la cohérence, la preuve sociale, l’autorité, l’affection, et la rareté. Cialdini souligne l’importance cruciale de la perception de la liberté de choix chez l’individu pour distinguer la persuasion de la manipulation.
La persuasion est perçue comme éthiquement acceptable lorsque l’individu se sent libre de ses choix, même influencé, alors que la manipulation implique une restriction de cette liberté, souvent par des moyens subtils ou déguisés. Cette distinction est fondamentale dans les débats contemporains sur la protection de la vie privée, la manipulation médiatique et les techniques de marketing.
Dans le domaine de la protection de la vie privée, par exemple, les individus sont souvent amenés à consentir à la collecte et à l’utilisation de leurs données personnelles. Les entreprises et les plateformes en ligne proposent des services « gratuits » en échange d’informations personnelles, posant ainsi la question de savoir si ce consentement est véritablement libre et éclairé ou s’il est le résultat d’une manipulation subtile, exploitant la difficulté pour les utilisateurs de comprendre pleinement les implications de leur consentement.
Mais il y a clairement abus, il me semble, dans l’utilisation de systèmes dits « dark patterns » sur les sites web et dans les applications. Je parle ici des stratégies de conception qui poussent les utilisateurs à prendre des décisions qu’ils n’auraient pas prises autrement, comme s’abonner à des newsletters ou accepter des cookies sans véritable intention de le faire.
Ces techniques posent question quant à la véritable liberté de choix et la compréhension des conséquences de ces choix par les utilisateurs.
En ce qui concerne la manipulation médiatique, l’ère des réseaux sociaux a vu l’émergence de campagnes de désinformation et de fake news visant à influencer l’opinion publique. Ces tactiques soulèvent des questions éthiques sur la capacité des individus à distinguer le vrai du faux et à faire des choix basés sur des informations fiables. La manipulation médiatique brouille la ligne entre persuasion et manipulation, en créant un environnement où la liberté de choix de l’individu peut être compromise sans que celui-ci en soit pleinement conscient.
Dans le domaine du marketing, les techniques visant à influencer le comportement des consommateurs deviennent de plus en plus sophistiquées, utilisant des données personnelles pour cibler les individus avec des publicités hyper-personnalisées. Bien que ces stratégies puissent être considérées comme de la persuasion lorsqu’elles aident les consommateurs à prendre des décisions éclairées, elles flirtent souvent avec la manipulation lorsqu’elles exploitent des vulnérabilités psychologiques ou des biais cognitifs pour induire des comportements d’achat.
L’enjeu éthique de la soumission librement consentie réside donc dans sa capacité à éclairer ces débats, en offrant un cadre pour réfléchir à la manière dont les individus peuvent maintenir leur autonomie et leur liberté de choix dans un contexte de persuasion, voire de manipulation omniprésente…
Pour conclure cet article je rappelle à nouveau que la soumission librement consentie, tout en étant un concept fondamental en psychologie sociale, soulève des questions éthiques cruciales dans le monde moderne. Nous l’avons vu, la distinction entre persuasion et manipulation, la protection de la liberté de choix, et la capacité de faire des choix éclairés sont au cœur des enjeux contemporains relatifs au respect de la personne dans toutes les sphères de sa vie.
Je vous propose maintenant de vous renvoyer à des techniques de manipulation bien connues qui viennent réduire considérablement la réalité du consentement « libre » dans nombre de situations où l’autorité d’une personne sur l’autre s’exprime. Vous trouverez cette réflexion dans l’article dédié ici.
A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:
Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion
Partie 2 – Techniques de manipulation psychosociale
Partie 3 – Couple : La question de la soumission librement consentie
Partie 4 – La manipulation dans la sexualité et le consentement éclairé
Partie 5 – L’individu au travail & la soumission librement consentie
Je vous propose aussi quelques articles et vidéos sur des sujets qui pourraient vous intéresser:
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Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses Universitaires de Grenoble.
Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (1996). Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rationalisation. Presses Universitaires de France.
Cialdini, R. B. (2004). Influence et manipulation. First.
Dejours, C. (1998). Souffrance en France: La banalisation de l’injustice sociale. Seuil.
Gagnon, É. (2017). Communiquer pour mieux vivre. Éditions de l’Homme.
Lévy, F. (2010). Le couple, son intimité et ses secrets. Albin Michel.
Alter, N. (2012). Donner et prendre : La coopération en entreprise. La Découverte.
Ricoeur, P. (1995). Soi-même comme un autre. Seuil.
Sibony, D. (2003). Entre-deux: L’origine en partage. Seuil.