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PSYCHOSE

I – Évolutions du rapport à la psychose

Pour présenter globalement le terme de psychose, nous pouvons dire que ce terme est désormais courant dans le champ de la psychiatrie et de la psychologie clinique, et qu’il désigne un état mental caractérisé par une perte de contact avec la réalité.

 

Les individus affectés peuvent expérimenter des hallucinations, des délires, et des troubles de la pensée, influençant profondément leur capacité à fonctionner au quotidien.

L’évolution historique du concept de psychose révèle non seulement l’avancée de notre compréhension des troubles mentaux, mais, et c’est un axe d’analyse particulièrement intéressant pour moi, aussi la manière dont la société perçoit et traite les personnes atteintes.

Aux origines, dans l’Antiquité, il semble que les troubles psychotiques furent souvent interprétés à travers le prisme de la spiritualité et du surnaturel.

Hippocrate, considéré comme le père de la médecine occidentale, semble avoir été l’un des premiers à proposer une explication des maladies mentales en termes de déséquilibres des fluides corporels, s’éloignant ainsi des interprétations mystiques prévalentes à l’époque (Berrios, 1996).

À l’ère médiévale, la perception des maladies mentales a basculé de nouveau vers le surnaturel, associant souvent la psychose à la possession démoniaque ou à la punition divine. Cette période sombre s’est caractérisée par des traitements cruels et inhumains (je vais vous épargner ici les descriptions associées aux traitements et châtiments…) des personnes souffrant de troubles mentaux, reflétant la stigmatisation et la peur que suscitent ces conditions.

La Renaissance semble avoir apporté un renouveau dans la compréhension et le traitement des maladies mentales. Des figures comme Philippe Pinel à la fin du 18ème siècle et plus tard Jean-Étienne Dominique Esquirol début 19ème siècle, ont joué un rôle déterminant dans la réforme des asiles psychiatriques et l’introduction d’un traitement plus humain des patients. Pinel, en particulier, est célèbre pour avoir délié (!) les patients considérés comme fous dans l’asile de Bicêtre à Paris, marquant le début d’une ère de traitement plus bienveillant (Foucault, 1961).

Quand on y réfléchit bien, c’était il y a bien peu de temps…

Le 19ème siècle voit quant à lui l’émergence de la psychiatrie en tant que discipline médicale, avec la psychose devenant progressivement un domaine d’étude et de classification. Emil Kraepelin, à la fin du 19ème siècle, distingue la schizophrénie, qu’il nomme « démence précoce », du trouble bipolaire, appelé « psychose maniaco-dépressive », établissant ainsi un cadre pour la compréhension moderne des troubles psychotiques (Kraepelin, 1896).

 

Le 20ème siècle est ensuite marqué par des avancées significatives dans le traitement et la compréhension de la psychose. La découverte des neuroleptiques dans les années 1950 révolutionne le traitement de la schizophrénie et d’autres psychoses, permettant à de nombreux patients de vivre une vie plus stable et indépendante (Delay et Deniker, 1952).

Parallèlement, les travaux de Freud et de ses successeurs introduisent l’idée que les troubles psychotiques peuvent également être abordés par des moyens psychologiques et non seulement médicamenteux.

Les dernières décennies semblent avoir vu l’accent mis sur une approche plus intégrée de la psychose (même si les lobbies pharmaceutiques pèsent lourdement…), combinant majoritairement les traitements pharmacologiques, un peu de thérapies cognitivo-comportementales, et un soutien social et familial renforcé dans une certaine mesure.

Quant à la recherche actuelle, elle peut apparaitre se concentrer plus largement sur la compréhension des causes sous-jacentes de la psychose, y compris les facteurs génétiques, neurobiologiques, et environnementaux. Mais ne nous y trompons pas, l’espoir de cette recherche reste de développer des traitements médicamenteux plus ciblés et efficaces (les lobbies pharmaceutiques pèsent encore ici lourdement avec des financements de recherche orientées il me semble).

 

L’histoire de la psychose m’apparait dès lors un miroir de l’évolution de notre compréhension de la santé mentale et notre rapport à l’humanité. De l’interprétation surnaturelle aux approches biomédicales et psychosociales modernes, le concept de psychose a subi d’importantes transformations et ces changements reflètent pour moi non seulement les avancées scientifiques et médicales, mais aussi et surtout les variations dans la manière dont les sociétés appréhendent la maladie mentale.

Aujourd’hui, avec un système basé sur le profit de multinationales gargantuesques, la personne en souffrance d’une psychose n’est-elle finalement pas devenue un consommateur comme les autres, le médicament étant devenu quasiment un produit comme les autres avec son marché cible ? Business as usual serais-je tenté de dire… Néanmoins, cela reste toujours d’actualité et il m’apparait nécessaire de le rappeler pour espérer que les moyens humains adaptés soient déployés dans la prise en charge de la psychose, la trajectoire historique de celle-ci souligne l’importance d’une approche holistique et humaine dans le traitement des troubles psychotiques, en reconnaissant la complexité de ces conditions et la dignité de ceux qui en souffrent.

II – Psychose & Freud

Si maintenant on s’intéresse plus spécifiquement à Freud, celui-ci a abordé le concept de psychose en le distinguant nettement de la névrose, en se concentrant sur la relation de l’individu avec la réalité.

 

Selon Freud, la psychose se caractérise par une perte de contact avec la réalité, où le moi est submergé ou déformé par les désirs inconscients, conduisant à une reconstruction de la réalité pour satisfaire ces désirs refoulés.

Freud a initialement exploré la psychose dans ses écrits sur la paranoïa, notamment dans son célèbre cas de Schreber. Dans « Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoides) décrit sous forme autobiographique » (1911), Freud analyse l’autobiographie de Daniel Paul Schreber, un juge allemand qui a souffert de paranoïa. Freud interprète les délires de Schreber à travers le prisme de la théorie psychanalytique, suggérant que ses fantasmes paranoïaques sont le résultat d’un désir refoulé pour le père, transformé en persécution (Freud, 1911). Cette étude marque l’un des premiers efforts de Freud pour comprendre la psychose en termes de mécanismes psychanalytiques, en mettant l’accent sur le refoulement et la projection comme processus clés.

La distinction entre névrose et psychose est un thème récurrent dans l’œuvre de Freud. Dans « La perte de réalité dans la névrose et la psychose » (1924), Freud affirme que tandis que dans la névrose, le conflit se situe principalement entre le moi et le ça, dans la psychose, ce conflit s’étend entre le moi et le monde extérieur.

 

Pour Freud, la psychose se manifeste lorsque le moi tente de se défendre contre un fragment de la réalité qui est devenu intolérable, en le rejetant et en le remplaçant par une nouvelle réalité conforme aux désirs inconscients (Freud, 1924). Cette théorie souligne le rôle du refoulement et de la reconstruction de la réalité dans la psychose, offrant une base pour comprendre les mécanismes psychiques sous-jacents.

Freud a également exploré la question de la structure dans les troubles psychotiques, notamment dans ses discussions sur la schizophrénie. Bien qu’il n’ait pas développé une théorie complète de la schizophrénie, ses observations sur la fragmentation du moi dans les cas de psychose ont influencé il est vrai des générations de théoriciens psychanalytiques.

Freud suggère que dans la psychose, le moi peut se scinder, avec certaines parties restant en contact avec la réalité tandis que d’autres se retirent en réponse à la détresse psychique (Freud, 1914). Cette conceptualisation a ouvert la voie à une compréhension plus nuancée de la dissociation et de la fragmentation dans la psychose.

 

L’approche de Freud à la psychose n’a évidemment pas été sans critiques, et de nombreux psychanalystes postérieurs, y compris Jacques Lacan, ont révisé et étendu sa théorie. Lacan, par exemple, a introduit le concept de forclusion pour expliquer la psychose, en se basant sur mais en modifiant également les idées freudiennes. Lacan considère le concept de forclusion comme le mécanisme central de la psychose. La forclusion pour lui est un processus par lequel un élément fondamental du symbolique, le Nom-du-Père, est rejeté hors du champ symbolique de l’individu, entraînant une défaillance dans la structuration du moi et une fragilité face à l’intrusion du réel (Lacan, 1959). Cette faille dans l’ordre symbolique explique pourquoi les personnes avec une structure psychotique peuvent éprouver des difficultés à établir des limites claires entre le soi et l’autre, le réel et l’imaginaire.

Pour conclure…

Ce court article espère sensibiliser sur l’importance de proposer un cadre riche et nuancé pour appréhender les troubles psychotiques.  Ces derniers restent complexes, oui, mais ne peuvent selon moi être réduits à de simples désordres chimiques ou neurologiques. Ils doivent être envisagées dans leur dimension psychodynamique et existentielle.

La psychose met en lumière des mécanismes de défense uniques, des dynamiques inconscientes, et des failles dans l’ordre symbolique caractéristiques, ouvrant des voies pour des approches thérapeutiques qui intègrent à la fois les aspects biologiques et psychologiques de ces troubles.

Et non pas une réponse médicamenteuse réflexe proposée sans complexes par des lobbies pharmaceutiques plus puissants que jamais.

Le manque de soignants est criant. Notre société, dans ses choix de politique sanitaire et de traitement induit de ses malades, devrait à mon sens poursuivre son questionnement, comme dans l’histoire passée, sur le sens du mot humanité.   

Je vous propose maintenant de poursuivre notre réflexion sur la psychose à travers deux vidéos complémentaires:

A lire aussi dans ma série d’articles sur la soumission librement consentie:

Partie 1 – Soumission librement consentie: frontière entre manipulation et persuasion

Partie 2 – Techniques de manipulation psychosociale

Partie 3 – Couple : La question de la soumission librement consentie

Partie 4 – La manipulation dans la sexualité et le consentement éclairé

Partie 5 – L’individu au travail & la soumission librement consentie

Je vous propose aussi quelques articles et vidéos sur des sujets qui pourraient vous intéresser:

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Bibliographie:
  • Berrios, G. E. (1996). The History of Mental Symptoms: Descriptive Psychopathology since the Nineteenth Century. Cambridge University Press.
  • Foucault, M. (1961). Histoire de la folie à l’âge classique. Plon.Kraepelin, E. (1896). Psychiatrie: Ein Lehrbuch für Studierende und Ärzte. Barth.
  • Delay, J., & Deniker, P. (1952). Le traitement des psychoses par une méthode neurolytique dérivée de l’hibernothérapie (Le 4560 RP utilisé seul en cure prolongée et continue). Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences.
  • Lacan, J. (1959). Le Séminaire, Livre III: Les psychoses. Paris: Seuil.
  • Freud, S. (1911). Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoides) décrit autobiographiquement. Dans Œuvres complètes de Freud / Psychanalyse (Vol. 11). Paris: PUF.
  • Freud, S. (1924). La perte de réalité dans la névrose et la psychose. Dans Œuvres complètes de Freud / Psychanalyse (Vol. 19). Paris: PUF.
  • Freud, S. (1914). Sur la psychogenèse d’un cas de féminité homosexuelle. Dans Œuvres complètes de Freud / Psychanalyse (Vol. 14). Paris: PUF.

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